Ville 6. Sensation de voyage extrême
Aubervilliers, j'y suis seulement resté deux jours mais j'aurais pu y séjourner une semaine tant cette ville a plus d’une merveille à voir. Du patrimoine bâti classé monument historique, des équipements culturels, des collectifs d'artistes, une cité d'architecte utopiste racontée par un slameur, des habitants qui s'investissent dans la ville et une auberge de jeunesse.
Pas de programme pré-établi. La ville, malgré l'absence de métro en centre-ville, est bien accessible. Il suffit, soit de déambuler dans les rues pour trouver les différents endroits à visiter, soit de se rendre à la maison de la vie associative qui est aussi un office de tourisme non-officiel. On ressort de là avec plusieurs adresses. De quoi satisfaire mes envies de découverte. Aubervilliers, c'est 69 langues parlées sur le territoire, plus de 450 associations et des personnes accueillantes un peu partout. Et en premier lieu, dans cette maison de verre où le sourire est greffé sur le visage de tous ses employés.
En sortant de là, je me dirige vers l'hôtel de ville et son église. Une belle place. Avec plusieurs cafés, une manif' et donc... une église. Classée monument historique. En pénétrant dans l'édifice, on est impressionné par les vitraux mais aussi par la vie qu'il y a l'intérieur. J'essaye de trouver une personne qui pourrait m'en dire plus sur l'histoire de l'église. Un bureau est ouvert. Deux personnes âgées (une femme et un homme) sont assises en train de discuter. Je m'approche d'elles et leur demande quelques informations sur la construction de la ville. Une personne d'origine asiatique rentre dans le bureau avec son fils. Je m'écarte avec le monsieur, nous sortons du bureau et nous nous asseyons sur une chaise en osier située dans la nef. Le niveau sonore de l'explication de la construction de la ville est vraiment bas. Mais j'arrive à comprendre qu'Aubervilliers est presque aussi vieux d'Henri Ier (on en entend parler vers 1060) et que cet ancien petit bourg, nommé ainsi en référence à un certain Albert, était connu pour la fertilité de sa terre. Depuis le Moyen Age, le chou d'Aubervilliers est l'un des fleurons du maraîchage de la plaine des vertus. D'où le nom de l'église : Notre-Dame-des-Vertus !
On sent que cet homme (dont je ne connais toujours pas le prénom) a une passion pour la ville. Son immigration bretonne, lorraine et alsacienne au tout début. "Et oui, auber, c'est une ville de migrant depuis le début" me dit-il.
Après quelques longues minutes à voix basse, il me conseille d'aller à la Société de l’histoire et de la vie de la ville pour en savoir un peu plus. "Vous savez, moi, j'en connais pas beaucoup sur la ville" - "Ah bon j'ai parlé 40 minutes (de ma ville) ? Je m'en rend pas compte, je perd la tête". J'aime la fausse modestie des personnes âgées.
La ville d'Albert a donc plus d'une corde à son arc. En plus d'avoir une histoire, des personnes qui la valorisent et qui l'aiment, elle possède de nombreux équipements culturels. On pourra citer les lieux les plus accessibles comme le théâtre équestre Zingaro, le Théâtre de la commune (nommé centre dramatique national d'Aubervilliers), le conservatoire à rayonnement régional (avec des apprenties chanteuses que l'on a envie d'écouter tous les jours), l’espace Renaudie (une salle de spectacle de 200 places), un cinéma avec une belle programmation et l'embarcadère (une salle de spectacle grand public de 600 places). Le tout pour une population d'environ 75 000 habitants. Ce n'est pas rien.
Dans cette ville, il y a aussi des lieux qui sont un peu plus cachés et qui ne sont pas connu des panneaux de signalisation. C'est plus ce genre d'endroit que j'affectionne. (Non pas que je n'aime pas les choses accessibles mais je trouve plus de plaisir à trouver la petite pépite.) C'est aussi souvent dans ces lieux méconnus que l'on est très bien accueilli. Et je peux vous dire par avance que c'est un euphémisme. J'ai découvert deux lieux accueillant, chaleureux et vraiment intéressants :
1/ Les Laboratoires d'Aubervilliers. Un lieu de recherche, de création et d'expérimentation. J'y suis allé pour un film : Mille Soleils de Mati Diop. Une petite salle. Peu de monde. C'est sûr, l'échange se fait plus facilement. Je voyage au Sénégal pendant 45 minutes. Je ne suis (encore une fois) plus dans le 9-3. Itinéraire d'un ancien acteur perdu (et raté) qui se cherche. Fin du film. Un beau film. Un artiste en résidence (Dieudonné Niangouna) nous (les 6 spectateurs) parle de ses impressions. Tout le monde sort de la salle et s'en va gentiment. Je décide de rester là, de me poser et discuter avec les personnes qui restent. Je suis assis à la terrasse d'une ancienne usine avec cinq inconnu(e)s qui me parlent comme si je leur étais familier. Je me rends compte que je suis bien loin de chez moi. Surtout dans mon esprit. Grâce à ce film, à ces personnes et à ce lieu qui "inventent chaque jour des dispositifs touchant tous les champs de l’art (art visuel, danse, performance, théâtre, littérature, etc.), envisagent les pratiques artistiques comme un processus d’apprentissage, de partage et d’expérience, bouleversent nos approches et nos conceptions artistique." Je n'aurais pu mieux le dire.
2/ Mon lieu favori à Aubervilliers : Les Poussières. "Une association d’actions artistiques et culturelles albertivillarienne qui développe des projets fondés sur la perméabilité entre artistes et non artistes, professionnels et amateurs, et entre différentes disciplines artistiques. Cette diversité est la base de notre travail et permet rencontres et échanges". Concrètement ces frères (et s½urs) qui se sont installés au 6 rue des Noyers dans un ancien théâtre construit en 1930. Le double objectif est la réhabilitation et de l’animation de ce haut lieu de sociabilité et d’activités culturelles jusque dans les années 1950 et fermé dans les années 1970-80. J'y vais un jeudi. Il y a un Open-Théâtre. J'imagine des personnes qui se produisent sur la scène à tour de rôle. N'ayant plus de batterie, je déambule dans la ville en demandant mon chemin. Personne ne connait. Finalement, j'arrive devant une grande porte en fer. Je l'ouvre au hasard. J'entends du bruit. C'est ici. Comme quoi, ouvrir des portes au hasard, ça ouvre des portes.
Le but de l'association c'est "donner à voir la richesse du territoire, la poésie et la beauté du quotidien, en revendiquant la présence de l’art dans la ville, est au c½ur de leur projet." Des personnes sont attablées dans la cour, d'autres sont à l'intérieur du théâtre. Un jeudi par mois, l'association ouvre le lieu pour créer du lien avec les habitants et les personnes de passage. L’Open Théâtre c’est "un rendez-vous à temporalité et géographie variables. Moments de convivialité, d’échanges et d’inventions pour 5 minutes ou la soirée entière. Espace de liberté autogéré des membres de l’association aussi ouvert à ses amis. C’est tous les mois et ce n’est pas obligé. Seule obligation : apporter à boire et à manger !". Je vous invite à y passer. Une soirée incroyable avec des personnes que je ne connaissais pas. L'impression d'être adopté par une grande famille. Des personnes d'horizons divers. Des musiciens. Un moustachu. Une dame tout de cuir vêtue.
Après cette belle soirée, des discutions intéressantes, encore des rencontres incroyables, un super accueil, je valide ce moment comme la meilleure soirée de mon voyage. Il commence à se faire tard. Morphée m'appelle. Ce soir, je dors à l’Association Logement Jeunes 93 qui assure la gestion d’un foyer de jeunes travailleurs, de logements, d’un restaurant collectif et d’un centre international de séjour. En terme touristique, la seule auberge de jeunesse du territoire. J'étais obligé d'y dormir.
Il est tard. Je sonne à la grille. On m'ouvre. Pas un bruit. Une clef m'attend à l'accueil. Je monte les escaliers. J'ouvre la porte de ma chambre. Je suis réellement en voyage. Je m'endors heureux.
Mon incroyable 93, c'est un voyage de 4 mois en Seine-Saint-Denis pour découvrir ce territoire sous un autre angle. Pour donner à voir ce 93 qu’on n’imagine pas et déconstruire les clichés qui entourent ce département, un touriste a donc décidé de partir en voyage pour aller à le rencontre des habitants et voir le patrimoine séquano-dionysiens. Un voyage pas très loin de Paris, pas très loin de chez vous (sauf si vous habitez le Minnesota) et pas très loin de chez lui, à seulement quelques stations de métro (et RER) de la capitale afin de redécouvrir le département où il a grandi et le faire (re)découvrir à d'autres.
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